Wilkinson , particule élémentaire ( Source Le Monde )

Wilkinson , particule élémentaire ( Source Le Monde )

Le dimanche 7 février 2010 à 9:24 par David Demri

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546x273_1436528_0_dc78_ill-1228485-c157-wilkoIl faut l’avoir entendu chercher dans son français impeccable la traduction la plus fidèle de son interprétation du principe d’incertitude de Werner Heisenberg,pilier de la physique quantique,pour comprendre que Jonny Wilkinson ne sera jamais un rugbyman comme les autres. Le demi d’ouverture,recrue du Rugby club toulonnais (RCT) et revenant du XV d’Angleterre,qui commencera son Tournoi des six nations, samedi 6 février,contre le Pays de Galles,est même un sportif comme personne. Une icône sur laquelle n’adhère aucun cliché.

Regardez sa photo,consultez ses palmarès et ses statistiques,renseignez-vous sur ses contrats publicitaires : qu’attendre d’un joueur beau comme un dieu du stade,couvert de titres et de records, riche à millions ? Au mieux,l’hédonisme de celui qui profite de ces dons du ciel ; au pire, le dédain de l’enfant gâté qui surplombe le commun des mortels. Rien de tout cela chez Jonny Wilkinson,à la fois humble et timide,longtemps davantage tourmenté par son talent que désireux de jouir de l’aisance qu’il lui procurait. Qu’espérer d’un Anglais qui a conduit le XV le plus dominateur jamais enfanté par son pays jusqu’à une victoire en Coupe du monde,en 2003 ? Aucune morgue chez ce sujet d’Albion,qui ne considère pas déchoir en s’exprimant dans une autre langue que son idiome natal.

Même l’image de génie torturé, fermé sur ses obsessions de machine à marquer,ne lui correspond plus. A Toulon,il accueille chacun avec un sourire radieux et une disponibilité exceptionnelle dans le sport professionnel. « Le plus extraordinaire chez lui,c’est l’attention qu’il accorde à ses interlocuteurs, apprécie le pédopsychiatre Marcel Rufo,Toulonnais d’origine et supporteur acharné du RCT. Il a été un enfant anxieux ? C’est bon signe. Aujourd’hui,il incarne tout ce que le sport peut encore comporter de vertueux : un esprit sain dans un corps redevenu sain. Et il pourrait être notre psy à tous. »

C’était loin d’être gagné. En 2003,alors que l’Angleterre exulte du titre mondial qu’il vient de lui offrir grâce à un drop dans les dernières secondes de la finale,Jonny Wilkinson,consumé par l’angoisse, s’interdit tout droit de festoyer. Comme chaque victoire, celle-là lui ramène la crainte que quelque chose ne se dérègle dans l’ordonnancement monomaniaque de son existence de buteur d’élite. Pour éliminer tout hasard de sa performance,ce génie précoce est devenu un « accro du coup de pied « ,selon sa propre expression. Il a calculé un jour que, pour se préparer à la vingtaine de tentatives que compte en moyenne chaque match,il devait en taper plus de mille la semaine précédente, à l’entraînement. Ces efforts lui valent une réputation de meilleur joueur du monde,et, entre autres records,celui des points marqués au cours d’une carrière internationale. Mais ils n’éloignent jamais l’inquiétude et finissent par briser son corps.

De ce sommet de 2003 à l’arrivée à Toulon,à l’été 2009,Wilkinson se transforme en encyclopédie vivante des blessures. Il n’apparaît plus qu’épisodiquement avec son club de Newcastle,en pointillés avec la sélection anglaise. « Je m’étais mis dans une situation très grave,raconte le joueur au sortir d’une séance d’entraînement au stade Mayol. J’avais l’impression de perdre mon identité. Je me demandais sans cesse : qui suis-je sans le rugby ? Pour la première fois,je me rendais compte que le sport pouvait s’arrêter,aussi brusquement que la vie prend fin. Il fallait que je trouve autre chose,de plus profond et de plus durable. »

L’apprentissage de la guitare,de l’espagnol ou du français ont servi de dérivatif à son perfectionnisme maladif. Mais son « moment Eurêka »,il le doit à la découverte de la physique quantique,et à sa résonance avec ses lectures bouddhistes. « J’ai été un enfant qui n’arrêtait pas de poser des questions sur les grands sujets,à mes parents,à mes professeurs,dit le rugbyman. Et la discussion débouchait toujours sur la même réponse, qui me laissait insatisfait : « Parce que c’est la vie. » Comme joueur, j’étais aussi plein d’interrogations sur chacune de mes actions,de phrases qui commençaient par « si seulement » et qui me minaient. Et, un jour, je me suis rendu compte que des scientifiques se posaient,à leur manière,des questions qui coïncidaient avec ma quête spirituelle. Pour la première fois, j’ai trouvé un peu de paix. »

Ce détour par le monde quantique,cet infiniment petit des atomes et des particules élémentaires qui n’obéissent pas aux lois de la physique classique,Jonny Wilkinson a d’abord voulu le passer sous silence. De crainte de passer pour un illuminé,qui se serait précipité sur la première théorie pour oublier ses obsessions. Aujourd’hui, il assume cette spiritualité faite maison et mûrement réfléchie. « Ma vie a pris une nouvelle direction,dit-il. Je ne suis plus ce joueur qui cherchait à accumuler titres,records,sponsors. Je ne joue plus pour des questions d’identité personnelle,mais pour donner du plaisir à ceux qui regardent. »

Ce plaisir,il l’offre depuis six mois à une ville latine qui se situe à l’opposé de sa culture anglo-saxonne mais qui se retrouve bien dans son itinéraire personnel. A Toulon aussi,le rugby est affaire d’identité et d’obsession. « Il y a ici une relation unique au club,une passion que je n’avais vue nulle part ailleurs »,explique le joueur. Au RCT aussi,qui longtemps vécut dans l’angoisse de se sentir le mal-aimé de l’Ovalie français,l’ouvreur transmet un peu de sa paix intérieure. En contribuant à le replacer aux premiers rangs de la hiérarchie nationale,mais aussi en le situant sur la carte mondiale.

« A l’étranger,on nous connaît maintenant comme le club de Wilkinson,se réjouit le président du RCT,Mourad Boudjellal. Et en ville,c’est un dieu,traité avec infiniment de respect. Même ses matches ratés ne font l’objet d’aucune critique,c’en est presque injuste pour les autres. » Naguère solitaire,le joueur cherche aujourd’hui à « rembourser » cet engouement en se rendant disponible aux sollicitations. « Cette ouverture constante,souligne M. Boudjellal,c’est sa manière à lui de devenir méditerranéen. » Mais aussi une façon,en amateur des sciences de l’infime,de mesurer avec une précision extrême ses réactions une fois plongé en milieu inconnu.

Dans ce laboratoire toulonnais,Wilkinson a déjà mené des expériences déroutantes. Peu après son arrivée,il s’étonnait, dans la presse britannique,de la pratique intensive du serrage de mains qui lui faisait perdre plusieurs minutes d’exercices physiques,le matin,dans la salle de sports où convergent les équipiers. Puis,en perfectionniste invétéré, il s’est mis en tête de trouver sa propre poignée de main,susceptible d’exprimer au mieux son moi profond.

Y est-il parvenu ? « Pas tout à fait,s’amuse-t-il,en se lançant illico dans une démonstration. Parfois c’est réussi,mais là,ça fait encore trop anglais guindé. » Dans ce registre,il se sait encore guetté par un très gros défi physique, comme on dit en langue rugbystique : « Faire spontanément la bise aux copines des joueurs. »

Cette collecte d’expériences exotiques ne tourne pas pour autant au « cueille le jour » débridé. L’ascète n’est pas devenu épicurien. Certes,résidant avec son amie dans une villa de Bandol,Jonny Wilkinson a goûté le rosé local. « Mais pour lui,boire un peu de vin,c’est à peu près aussi extrême que de passer une semaine à Ibiza sous ecstasy »,plaisante le président Boudjellal.

L’ouvreur demeure un irréprochable professionnel. Qui a passé une partie de ses vacances d’été à rendre visite,sans révéler son identité,à l’équipe de football américain des Denver Broncos,pour s’imprégner de l’exigence locale. Qui n’oublie pas,en séance photo,d’ajuster le pli du survêtement pour faire apparaître les bandes sur sa chaussure sponsorisée – en tout,ses contrats publicitaires lui rapporteraient 2 millions d’euros par an. Et,surtout,qui n’a pas renoncé à l’entraînement intensif,même les jours où ses équipiers sont au repos.

« Le matin du premier match de la saison,contre le Stade français,je l’ai croisé avec un filet plein de ballons,raconte M. Boudjellal. Il partait évidemment s’entraîner,alors que cela lui avait été interdit par le directeur sportif,Philippe Saint-André. Il m’a demandé de ne surtout pas le dénoncer,ce que j’ai fait aussitôt. Mais rien n’y a fait,il a quand même tapé des ballons. » Le club a tout intérêt à protéger son investissement contre ses propres excès de zèle,même tempérés par sa nouvelle approche de la vie.

Car pour l’heure,le pari Wilkinson,qui faisait sourire tant de spécialistes en début de saison, est largement bénéficiaire. L’idole,qui vient de signer pour une deuxième année au RCT pour un salaire d’environ 400 000 euros annuels, a contribué à une hausse de la fréquentation du stade,et à l’arrivée de sponsors alléchés par sa renommée. Meilleur marqueur du championnat de France,l’ouvreur s’est installé en figure de proue et en symbole de l’opulence de ce Top 14 qui a su attirer nombre de pointures de son homologue anglais,ruiné par la crise économique.

Et son corps tient. « Il a fait tous les placages,il a reçu tous les coups qu’il devait prendre,et il ne s’est rien passé », dit M. Boudjellal. A 30 ans pile,le joueur y a gagné la possibilité d’une deuxième carrière en équipe d’Angleterre,à un an d’une nouvelle Coupe du monde. Ce qui représente finalement le seul souci de son président : « Je vais devoir m’en passer plus de deux mois la saison prochaine,alors que nous ne touchons pas un centime d’indemnisation,à la différence des clubs anglais. Et je sais bien comment tout ça va finir : Jonny va éliminer l’équipe de France en demi-finale,et on va dire que c’est de la faute de Boudjellal qui l’a si bien retapé à Toulon. »

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  1. lespagnol 7 février 2010 at 21h

    Il n'a plus qu'à conaitre les joies du Brennus…La coupe du monde, il connait déjà. Alors Wilco, un denier petit challenge sportif avant de passer à autre chose.

  2. Dede11 8 février 2010 at 09h

    Il lui manque aussi le chalenge et la HCUP !

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