Ce qui est parfait n’accomplit pas de performance, ce qui est parfait oeuvre en état de repos. C’est drôle comme une simple feinte de passe peut évoquer comme poésie, des mots du suédois Stig Dagerman à ceux, plus classiques, de Lamartine : « Ô temps, suspends ton vol, et vous, heures propices… » On connaît la chanson. N’empêche : le geste de Sitiveni Sivivatu, tout en lenteur et en douceur, fut de ceux qui grandissent parfois le rugby au rang d’art brut, de chanson de gestes, de ballet musculeux. Ainsi Virgile Bruni fut envoyé aux pâquerettes et Michael
Claassens au sommet de la nouvelle tribune Gabarrou, où le demi de mêlée toulonnais pourra longtemps méditer sur sa désertion coupable du deuxième rideau. « J’ai joué avec Waisale Serevi à Mont-de-Marsan, s’enthousiasmait l’entraîneur des trois-quarts David Darricarère. Quand il sortit sa feinte de passe, j’ai eu comme un flash. À deux à l’heure, tout en fluidité… » Comme quoi, même après quatre mois d’absence dus à une opération d’une épaule, la magie ne s’oublie pas…

SIVIVATU : « JE N’ALLAIS PAS ENVOYER TITI À L’ABATTOIR… »

Toutefois, le All Black aux 29 essais en 45 sélections ne souhaitait pas, à la réception d’après-match, s’étendre plus avant sur sa propre performance. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je n’ai joué qu’un match… J’étais juste heureux de pouvoir enfin jouer avec mes coéquipiers, de faire ce pourquoi je suis ici : apporter quelque chose à ce club. Sur mon essai, Titi Garcia est en position de drop, il y a un gros rideau de six ou sept joueurs prêts à lui monter dessus. Je n’allais pas lui donner le ballon pour l’envoyer à l’abattoir. Alors, je l’ai gardé… »

Pour mieux gratifier les 9 000 spectateurs de Pierre-Antoine d’un pur instant de frisson, sous le regard coléreux de Drew Mitchell…
Pour le reste ? Sitiveni Sivivatu fut, pour tout dire, égal au joueur qu’il était voici peu encore à Clermont, assez affûté pour intervenir où bon lui semble sur le terrain. Au ras des rucks aussi bien qu’au coeur de l’attaque, comme sur l’essai de Capo Ortega, qu’il contribua grandement à créer par une intervention cinglante à hauteur de Cabannes. « Au-delà du formidable joueur qu’il est, il rend les autres meilleurs, savourait le président Pierre- Yves Revol. Il insuffle de la confiance à ses partenaires. » De quoi regretter cette blessure qui le priva quatre mois de terrain ? Évidemment. Au point que nombreux étaient ceux à se demander si l’actualité du CO serait la même, si le Fidjien avait pu participer dans son intégralité à ce premier tiers de Top 14. « Quand on a des joueurs comme ça, c’est pour qu’ils jouent des matchs… » éludait David Darricarère.

UN AVENIR AU CENTRE ?

Mais comme ce temps est revenu, l’avenir proche ne passe-t-il pas par une reconversion au centre, où Sivivatu semblerait capable de peser plus encore sur le jeu tarnais, tout en ménageant une place sur l’aile à Romain Martial ? L’idée ne semble pas déplaire à David Darricarère, quand l’intéressait préférait botter en touche. « Sincèrement, ce ne sont pas des choses auxquelles je pense. Je me fais tout petit ici, je n’ai joué qu’un match, qui a été loin d’être parfait. »

Une référence probable à cette faute un peu balourde qui le fit plonger sur David Smith alors qu’il l’avait parfaitement plaqué sous ses poteaux, ou à ce carton jaune pour plaquage haut durant lequel son vis-à-vis profita de son absence pour inscrire deux essais en deux minutes… De quoi priver le CO du bonus offensif que sa feinte de passe préalable croyait lui avoir offert, bien sûr. Mais surtout de quoi faire renaître l’espoir de lendemains qui chantent, chose impensable voilà encore quelques jours du côté de Pierre-Antoine. Quand on vous dit que la magie ne s’oublie pas…

Source: Midi Olympique