Le quotidien sportif L’équipe a récolté une interview très intéressante du talentueux trois-quarts centre Toulonnais Matt Giteau. Au cours de cet entretien, l’Australien évoque son jeu avec Toulon, sa bonne entente avec Jonny Wilkinson, ou encore ses débuts avec l’Australie. Extrait:

Jonny Wilkinson déclarait après votre succès en Coupe d’Europe contre Exeter (victoire 32 – 20): « Matt a été extraordinaire. Sans lui, le match aurait été plus difficile… »

« Pour moi, c’est exceptionnel qu’il dise ça. Dans ma tête, Jonny est le meilleur, pas seulement dans notre équipe, mais peut-être parmi les cinq plus grands joueurs du monde. »

Mais vous proposez des choses que Jonny ne sait pas faire… voire que personne ne sait faire. Vous avez vraiment un style spécial. Vous étiez déjà comme ça, enfant ?

« Oui oui. Quand j’étais jeune, j’étais très petit, pas costaud, je devais travailler autrement, avec ou sans le ballon. Il faut demander à ma mère, qui était ma supportrice numéro 1, présente sur le bord du terrain: je n’ai jamais su courir tout droit. J’ai toujours fait des crochets ! Sans ça, je n’aurai pas pu jouer au rugby, tout simplement. »

C’était une obligation…

« Exactement, si je n’avais pas eu une bonne technique, je n’aurai rien pu faire en raison de mon gabarit. Je n’avais pas de force, pas de puissance. »

Aujourd’hui, on vous voit adresser de longues passes inversées qui nous occasionneraient des entorses du poignet…

« Oui oui. Mais il faut surtout de la technique, je n’ai pas de force. J’ai travaillé pour ça. Je sais que si j’ai besoin de sortir une passe comme ça à un moment, je peux, comme pour Delon Armitage face à Exeter. »

Bernard Laporte dit à propos de vous: « Matt est phénoménal. Ça vaut le coup de se dire qu’on a entraîné un mec comme lui »…

« C’est difficile pour moi d’en parler, ça me concerne. Je ne suis pas arrogant. Je pense que c’est trop de dire ça, bien sûr. C’est trop mais merci, c’est gentil, ça me touche. »

Vous plaisantez souvent, le plus possible, mais jamais sur le terrain…

« Non. »

A quel moment arrêtez-vous de rire avant un match ? 

« Je ne sais pas. Parfois une heure avant, parfois deux jours. Si je me suis bien préparé toute la semaine, le jour du match est facile. J’ai juste à réactiver certaines choses. Si je me suis mal préparé, et je le sens, je me dis que je vais faire un match de merde ou au moins plus difficile que d’habitude. »

Vous comprenez la fascination du public devant vos fulgurances ?

« Pour moi, c’est juste comme ça. Je fais des choses à l’entraînement, j’espère les répéter en match. Je ne rêve pas de passes impossibles folles. Non, non non ! Avant un match, je pense que je dois faire mon boulot, c’est tout: plaquer, passer. S’il y a un moment où je peux apporter quelque chose de différent, j’essaie. Mais ce n’est pas prévu. »

Lorsque vous faites une action extraordinaire qui soulève le stade, vous n’y réfléchissait pas avant ?

« Non, c’est juste sur le moment. Je vois quelque chose ! Je ne réfléchis pas, je n’en ai pas besoin. Parfois, si ce n’est pas bon, Bernard va me dire à la vidéo: « Mais qu’est ce que tu as fait ? » Mais pendant le match, je tente. Prenons le match contre Exeter. Le deuxième essai de David Smith, c’est grâce à Maxime Mermoz qui est à mon intérieur. Si je perce, je passe et qu’il y a essai, c’est parce que Max fait cette course. S’il est à l’extérieur, je ne peux pas faire cette action. Vous me parlez d’exploit personnel ? Il est collectif. »

Vous regardez souvent des vidéos de vos passes ou d’autres joueurs ?

« Pas souvent non. Pour moi, le meilleur passeur est Jonny. Lui et Stephen Larkham avant. J’ai eu la chance de m’entraîner avec les deux, de beaucoup les regarder sur le terrain. »

A propos de Larkham, lors de la Coupe du monde 2003, la presse Australienne demandait à ce que vous jouiez à l’ouverture à sa place en équipe nationale…

« Une blague ! Je sais bien que les journaux parlaient de ça mais c’était vraiment bizarre. J’avais peut-être joué cinq matches avec les Wallabies donc, je le répète, c’était une blague. Je n’y ai jamais cru, pas un instant. Car Larkham était meilleur que moi, bien sûr. C’aurait été une chance pour les adversaires de l’Australie qu’on me fasse jouer ouvreur, à vingt ans. Encore aujourd’hui, je pense que Stephen est un meilleur 10 que je ne peux l’être. »

Comme vous répétez que Jonny Wilkinson est le meilleur 10 pour l’équipe de Toulon…

« Exactement ! Je suis sérieux. Lorsque Jonny est là, c’est différent. Il peut tout faire. On est plus relax. Même si évidemment, on doit l’aider car 10, c’est vraiment difficile. Quand je joue ouvreur, je suis plus excité car il y a des choses nouvelles à faire, comme penser au mouvement général de l’équipe. Il faut commander, souvent avec un seul mot ou deux: « Monte ! », « Glisse ! », « Pour toi ! », « Pour moi ! », « Regarde ! », « Intérieur ! ». On n’a vraiment pas le temps de faire de belles phrases. Quand Jonny est entré en 10 contre Exeter, j’ai glissé à l’arrière. Je l’ai regardé: il a changé le match en notre faveur. Il a bien joué à la main, au pied, défendu, et on a marqué deux essais. »

Un jour, vous nous aviez dit: « A Toulon, Jonny est le roi, moi la reine »…

(Il s’esclaffe) C’est rigolo ça non ? Jonny est vraiment le roi. Et moi, la reine de temps en temps. »