Découvrez le portrait de Bernard Laporte avant le début du Mondial

Découvrez le portrait de Bernard Laporte avant le début du Mondial

Le vendredi 18 septembre 2015 à 10:13 par David Demri

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toulon-laporte_178585_TOULON_LAPORTE_221012Bernard Laporte a neuf ans. Il est petit, « tout maigrichon ». Il habite à dix minutes de Gaillac, plus exactement à Tessonnière où il est arrivé, dans les valises de ses parents, trois semaines après avoir vu le jour à Rodez. Il est doué pour le… football. Pour se rendre à l’école, il passe tous les jours devant le stade de rugby qui, des années plus tard, portera son nom.

Un soir, à vélo, il est de retour à la maison en compagnie de son voisin, âgé de deux ans de plus que lui. Ce dernier lui confie jouer avec un ballon plus ovale que rond et lui propose de le rejoindre. « Pourquoi pas ».

« J’ai été à l’entraînement de rugby, se souvient Bernard. Je n’ai rien dit chez moi. J’ai pris du plaisir. J’y suis revenu. J’ai vite compris que j’avais quelque chose à faire avec les costauds, avec les mecs différents de moi, plus denses. Je suis tombé immédiatement amoureux de ce sport et si ce n’est de ce sport, des autres. C’était merveilleux ». Un goût des autres pour madeleine de Proust, ça donne du sucre à la vie. « Ce n’est pas celui contre qui tu joues le plus important, c’est celui avec qui tu joues ; l’essentiel est le partage », dit-il souvent.

Il ne lâche pas pour autant le foot qu’il pratique le mercredi en scolaire. Il est le capitaine de l’équipe. Il est aussi le seul joueur à être licencié au rugby… Il mène cette double vie jusqu’à ce soir d’hiver où des dirigeants du club de football d’Albi (en troisième division à l’époque) sonnent, à l’improviste, au portail de la demeure familiale. Ils sont là pour le recruter. « Je leur ai dit : je me plais trop au rugby, je ne peux pas quitter mes copains. Et j’étais Gaillacois. ». Son choix était fait. Un choix gagnant.

« Pour moi, c’est le plus beau »

Un titre de champion des Pyrénées en benjamin, deux titres de champion de France en Crabos (1982 et 1983), il appartient à une génération spontanée de Gaillac. Elle a accouché de garçons comme Jean-Michel Palis,  les frères Alibert, Michel Fernandez et l’inénarrable Vincent Moscato. C’était le temps de l’insouciance, des potes, des fêtes « terribles » au village. « Quand tu vois les gens qui viennent te supporter avec les voitures et les drapeaux, tu te sens le roi du monde. Tu te dis : c’est moi qui porte la ville. Tu te prends pour un professionnel. J’ai 51 ans, j’ai l’impression que c’était hier. » Hier, c’était surtout Toulon. Manager du RCT, il a atteint des sommets. Sur huit finales possibles (Top 14 et Coupe d’Europe confondus), les Toulonnais en ont disputé 7 et emporté 4 dont 3 d’affilée en Coupe d’Europe. « Ce qu’ils ont fait, personne ne le refera », assure-t-il en soulignant n’avoir jamais vu un seul mercenaire dans le club du président Boudjellal mais que « des mecs passionnés ». Il leur avait promis une entrée dans la légende. Ils y sont.

Son palmarès a beau être exceptionnel, c’est le bouclier de Brennus obtenu avec Bègles en 1991 qui a une place à part dans son cœur. « Pour moi, c’est le plus beau. Parce que c’est le seul que j’ai gagné en tant que joueur senior. Quand tu es acteur, c’est différent que quand tu es entraîneur où tu sens parfois l’impuissance. Et puis ce fut une épopée extraordinaire avec beaucoup d’énergie et d’amitié. » Les Rapetous (1), la tortue… Ce fut aussi un moment historique. Bègles n’avait pas touché le bout de bois depuis 1969. Son aventure girondine, initiée par André Moga en 1984 (le président bèglais lui avait fait quitter Gaillac), a pourtant commencé dans la douleur.

« J’ai heurté un platane de plein fouet »

Le 24 juillet 1985, il y a un peu plus de trente ans, Bernard Laporte termine son service militaire. Il a 21 ans. Il raconte : «  J’étais pote avec les officiers, je jouais à Bègles avec certains sous-officiers. Ils avaient voulu faire de mon départ une belle fête. A midi, au mess, nous avions bu un peu de vin mais pas trop. Je pouvais conduire. Il faisait très chaud. J’étais avec un ami que j’ai déposé à Langon. Pour faire des économies, je ne prenais pas l’autoroute mais la nationale. Je devais rentrer le soir à Gaillac pour fêter la quille avec des amis. 10 ou 20 km après Langon, je me suis endormi ou je ne sais pas ce qu’il y a eu mais j’ai heurté un platane de plein fouet. » Coma.

Il se réveille à l’hôpital militaire dont le grand patron de l’époque est un dirigeant de Bègles. « Il est venu me voir, m’a dit : tu as frappé fort au niveau de la tête. Le rugby te sera refusé. Du moins, c’est très compromis. Je le dis souvent : il m’a mis le premier coup de poignard. » Sa mère lui rend visite. Il lui demande de lui acheter tous les livres qui traitent du sujet de l’entraînement au rugby. Pendant un mois, il les bouquine, les étudie. « Dans ma tête, j’avais basculé. Si je ne pouvais plus jouer, j’allais entraîner. » Bernard Laporte a toujours été habité par le côté tactique du rugby.

A 15 ans, au café des sports de Gaillac, siège du club, il adorait regarder à la TV les matchs de l’équipe de France. Il n’hésitait pas à donner son avis. « Je soutenais toujours les sélectionneurs sans imaginer en être, un jour, un. J’en ai d’ailleurs connu qu’un seul : Jacques Fouroux. Je défendais toujours Jacques. Je ne le connaissais pas. Je comprenais ce qu’il voulait faire. J’étais le merdeux. On me disait : t’es trop jeune, tu comprends pas. Si je comprends ».

« A être trop honnête, tu vas les tuer »

Il a finalement le feu vert de la faculté. Il voit le bout du tunnel. Il peut de nouveau fouler un terrain, tâter du ballon et profiter de ces joies brutes procurées par les combats collectifs. Mais il ne sera jamais plus tout à fait le même. Avec le CA Bègles-Bordeaux Gironde, il s’illustre comme un meneur d’hommes hors pair. Demi de mêlée, il cornaque un pack redoutable avec lequel il touche le Graal en 1991. Son aventure à Bègles finit, comme souvent les histoires d’amour en général : mal. Il est évincé. Il part au Stade bordelais avec Moscato, Gimbert, Techoueyres et Reigt. « Deux années formidables avec une ambiance extraordinaire. J’étais entraîneur-joueur. Imaginez-vous ça à Toulon ».

Sa vie bascule dans la foulée. Il monte à Paris. Un journaliste lui a présenté un certain Max Guazzini, «  un homme merveilleux qui est devenu mon frère ». Max Guazzini a repris le Stade français en 1992. Nous sommes en 1995. Le président du groupe NRJ s’apprête à révolutionner le rugby. Il vient de fusionner les sections rugby du Stade Francais et du CASG (Cercle Athlétique des Sports Généraux). La nouvelle entité est en Groupe B (l’actuelle Fédérale 1). Bernard Laporte n’a jamais oublié sa première séance à La Faisanderie, dans le parc de Saint-Cloud. « Il y avait des transats pour regarder l’entraînement, la piscine, c’était surréaliste ». Il y avait surtout 50 garçons issus des deux clubs. « Des joueurs qui avaient été ennemis. Grâce à ma neutralité, j’ai vite fait des choix. On perd deux matchs dans l’année. On monte ». Le match de la montée en groupe A2 était un quart de finale. Il avait lieu à Chalon-sur-Saone, contre Oyonnax. Dans l’ombre des vestiaires, il tient le discours suivant : « Votre objectif est de remonter de suite. Si on gagne aujourd’hui, la moitié des joueurs qui sont là ne seront plus là l’année prochaine. Parce qu’on se doit de recruter pour vite faire le pas et remonter. » Vingt ans plus tard, il confie :  « J’ai hésité à dire ces phrases-là.  J’ai pensé : A être trop honnête, tu vas les tuer ; ils ne vont pas avoir l’enthousiasme et l’énergie nécessaire pour gagner ce genre de match. Je ne me voyais pas faire autrement. Ils ont fait ce qu’il fallait. Avec un match de Geoffrey Abadie (2) extraordinaire, trois pénalités de 50 m, je le dis ici avec beaucoup d’émotion (son regard s’échappe, l’espace d’un instant). Et on n ‘a pas gardé 70 % de l’effectif. On a recruté 17 joueurs. » Et d’ajouter ces mots, forts : « Je leur avais dit aussi : Il y aura toujours quelque chose de vous dans ce club. Ils ont dû y penser à l’occasion du dernier titre de champion de France du Stade français. Ils ne faut pas oublier ce genre de choses. Et moi, j’oublie pas. »

Personne n’oublie non plus que le Stade français ne restera qu’une saison en groupe A2 avant, dans la foulée, d’être sacré champion de France du groupe A1, en 1998 (3), à l’occasion de la première finale au Stade de France. « Ce qu’on a fait, là encore, personne ne le refera », confie-t-il au sujet de cette ascension exceptionnelle qui lui ouvrira les portes de l’équipe de France. Il en devient le premier sélectionneur à ne jamais avoir revêtu le maillot frappé du coq. A seulement 36 ans.

Source: ladepeche.fr

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1 Commentaire

  1. Jojo 18 septembre 2015 at 11h- Répondre

    On pense à toi Geoffrey…
    😥