Le néo-Toulonnais Carl Hayman est une des recrues phare de l’intersaison. Bien qu’il n’ait plus poussé au niveau international depuis trois ans, l’ancien pilier droit des All Blacks (45 sélections de 2001 à 2007 et surtout 37 de 2004 à 2007) est toujours considéré comme le meilleur droitier du monde. En 2007, j’ai eu la chance d’aller sur ses traces, en Nouvelle-Zélande, pour le compte de Rugby Hebdo. Voici (en deux épisodes, le deuxième suivra la semaine prochaine) le portrait que j’en tirai, publié au début du Mondial 2007. Aujourd’hui, l’homme.

C’était début juillet à Dunedin. On aurait pu le rencontrer, cette fois-ci hors du cadre de l’équipe nationale, mais les chutes de neige dans l’île du Sud l’avaient bloqué dans les montagnes, où il était allé passer quelques jours dans la ferme de son ami, le talonneur Andrew Hore. Impossible de le joindre, Carl Hayman n’a pas de téléphone portable. Ou n’en a plus depuis qu’un après-midi de pêche, à force de l’entendre sonner, il le jeta par-dessus bord. C’est que le millième All Black, fils de fermiers, aime la tranquillité, la nature et le grand air. Avec ou sans barbe, il est un peu sauvage, finalement, et perpétue, sans le vouloir, la tradition de ces avants néo-zélandais, hommes de peu de mots et durs au mal, ces figures au physique indestructible bâti le long des sentiers animaliers. Oui, Hayman est un bloc. Incontournable, depuis 2004, à la droite de la première ligne All Black. Le meilleur pilier du monde, pour beaucoup. Mais un anti-héros à l’opposé de ce que le marketing s’évertue désormais à produire, qui, dès que le planning serré des Otago Highlanders le lui permettaient, s’enfuyait deux jours durant traire les vaches dans une ferme laitière, sur les collines aux alentours de Dunedin. Pour garder la main, parce qu’il « aimerait avoir (sa) propre ferme à la fin de (sa) carrière ». Parce que, tout simplement, ça lui fait du bien. « Il aime son intimité, être loin de l’agitation », confirment tous ses proches. C’est pourquoi il avait quitté le centre de Dunedin pour Brighton, dans la campagne. Certainement aussi la raison pour laquelle, en plus de l’opportunité de faire gonfler son compte en banque, il a choisi l’exil à Newcastle, en Angleterre, jusqu’en 2010 (et Toulon depuis !). Pour échapper à l’effervescence et la pression constante qui pèsent sur les All Blacks au pays du rugby.

Il sait pourtant s’extérioriser. Rarement, c’est vrai, mais suffisamment pour mener le haka face caméra. Et là, les mots – en maori – s’enchaînent. Soudain, le voilà loquace. Parce que, maillot noir sur les épaules et chaussures à crampons au pied, il baigne dans l’élément rugby. Son élément. Le cri de guerre à peine achevé, les cordes vocales au repos, il met, sans mots dire, ses 120 kg et son mètre 93 au service du jeu et de ses équipiers. Une force faramineuse qu’il a éduquée pour devenir la pierre angulaire de la mêlée des Blacks. « Il est presque bionique, s’enthousiasme Laurie Mains, entraîneur des All Blacks de 1992 à 1995*, qui fut son coach aux Highlanders, en 2001. En match, ses stats, les plaquages, les déblayages sont au même niveau en fin de partie, qu’en début. Il ne se fatigue pas. Il travaille quasiment autant qu’un troisième ligne. » « Il possède une condition physique incroyable pour son gabarit, ajoute son ami Tom Willis**. Ça vient de son passé à la ferme et de ses sorties de chasse dans le bush. Il part plusieurs jours parfois. Je me souviens d’une de ces sorties. C’était autour de Christchurch, il avait neigé. En trois jours, il n’avait pas tiré une balle, il était fou. ” …