Christopher Tolofua : « Ce sont eux qui me poussent à mettre des crampons pour aller casser la gueule à un mec sur le terrain »
Christopher Tolofua : « Ce sont eux qui me poussent à mettre des crampons pour aller casser la gueule à un mec sur le terrain »
Le jeudi 10 mars 2022 à 10:59 par David Demri
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Le talonneur du Rugby Club Toulonnais, Christopher Tolofua s’est confié dans l’émission « Poulain Raffute » diffusée sur Rugbyrama pour évoquer ses périodes de faiblesse et de dépression traversées au cours de sa carrière.
Lors d’un long entretien, Christopher Tolofua s’est confié à coeur ouvert.
Il est notamment revenu sur son interview accordée à Midi Olympique qui a fait parler, afin d’évoquer justement le burnout qu’il a connu.
A lire ci-dessous :
« C’est un sujet que j’ai mis du temps à digérer et à mettre sur un papier, à divulguer que ce soit à mes collègues autour du rugby mais aussi à ma famille car c’est un sujet qui reste tabou dans le sport. Mais c’était important de le mettre en lumière. J’ai essayé de mettre des mots sur des attitudes et des questionnements. Cela m’a permis d’ouvrir un peu les yeux sur le rugby qui était rude. C’était important pour moi d’en parler. Avec les dernières actualités, on voit que ce sont des choses sur lesquelles il faut appuyer comme les dépressions ou sur l’acceptation du doute en tant que joueur de haut niveau.
Tout fait partie d’un équilibre dans l’acheminement d’une carrière qui est fait de haut et de bas. J’ai pris de mauvaises décisions, j’ai foncé à travers un mur car j’étais persuadé de certaines choses qui m’ont fait toucher le fond. Mais cet enchaînement d’exigence que ce soit à la maison, dans ta diet, dans ton mental et où ta psychologie passe après l’équipe… Je n’ai pas réussi à mettre un mot sur cela tout de suite car à 20 ans, on chercher la célébrité, la télé, essayer de paraître bien, d’avoir la banane, de faire tous pour les autres et d’avoir cette image du mec qui est invulnérable. Ca a été ma principale erreur quand j’ai commencé et ça n’a pas été simple car j’étais lancé et on m’a dit que tout allait bien se passer. Mon erreur a été de me focaliser sur cela et qu’on allait tout me pardonner même en cas d’erreur. Mais dans le rugby de haut niveau, il faut toujours être exigent, donner le plus du plus du plus et tu n’as pas d’excuse. Quand tu passes de 20 ans à 22 ans, il y a deux saisons qui sont passées et l’expérience doit prendre le dessus. Tu dois être capable de te remettre en question et être au service des autres. A 18 ans, la seule chose que tu veux c’est jouer, t’envoyer comme un chien, tu veux montrer que tu es le meilleur et que tout ce qu’il se passe autour de toi, tu es le seul qui peut tout donner pour leur montrer que c’est toi le patron. Mais à 18 ans j’ai fait pas mal d’erreurs, tu es influençable, tu ne prends pas toujours les bonnes décisions. J’ai voulu tout donner et même à 18 ans, tu te brûles les ailes. Il a fallu serrer les dents.
Quand tu finis les matches et que t’es claqué, que les potes viennent taper à ta porte pour boire un coup, tu les suis et c’est un engrenage. C’est l’engrenage du jeune joueur de 18 ou 20 ans qui veut faire des matches de fou mais aussi s’amuser avec ses potes. A un moment le haut niveau te rattrape et l’hygiène de vie également. L’hygiène de vie, ça a été le point noir du début de ma carrière. J’ai tout donné à fond, sur le terrain, avec mes collègues, avec ma famille. En tant que pseudo ancien, il faut tirer le frein à main avec les jeunes pour leur faire comprendre qu’il y a un moment pour profiter, un moment pour s’envoyer. On a la chance et la malchance d’avoir un sport qui prône une image de sport convivial. Ca fait partie de notre sport. On est super content d’avoir gardé le côté de la troisième mi-temps. Je peux me regarder dans la glace en me disant que je suis allé boire un coup avec les potes car on en avait besoin.
Le but, ce n’était pas de me mettre en lumière. C’était de mettre un mot sur les doutes de certains joueurs. Je voulais expliquer que le sport de haut niveau c’est bien, mais il y a des droits et des devoirs. Si tu n’es pas capable de mettre une responsabilité sur certaines choses, quand tu es blessé tu es blessé, quand ça ne va pas ça ne va pas et il faut savoir le dire. Mon frère a eu la chance de faire le même parcours que moi avec les petites équipes de France. Il y a des cellules qui sont créées pour cela. Des cellules psychologiques qui permettent aux joueurs de parler quand ça ne va pas. Il est important de sensibiliser les jeunes. Ce n’est pas un tabou de parler, c’est plutôt un second souffle. Quand tu as la pression sur toi, l’exigence des coaches, des préparateurs physiques et de tes collègues, à un moment donné il faut te prendre en main et chercher quoi faire pour aller mieux.
Je n’ai pas envoyé de message à Mathieu Bastareaud mais j’ai été très sensibilisé par son discours. Il a un caractère fort, il a été la vitrine de l’équipe de France. Ses mots ont été forts car j’ai eu cette émotion lorsqu’il en a parlé car ce n’est pas simple d’en parler, surtout devant la France entière. Pour lui ce n’est pas simple d’en parler. Moi, j’étais face à une personne et j’ai vidé mon sac. Mathieu fait partie de cette génération à qui on ne pardonne rien. C’est vraiment une transmission forte de le voir se livrer comme ça.
Je voulais aussi mettre en lumière ma femme et mes enfants car ce sont eux qui me poussent à mettre un short et des crampons pour aller casser la gueule à un mec sur le terrain. Il y aussi la réussite de l’équipe. Mais depuis que j’ai eu mon premier enfant, ce n’était plus pareil. Pour moi, le rugby c’est du plus, le moment où je me régale, je m’amuse et je m’envoie. Je veux que mes enfants et ma femme soient fiers de moi. Je veux qu’ils soient en bonne santé et qu’ils aient une vie correcte. C’est le principal pour moi. Depuis que j’ai rencontré ma femme, ça a été vraiment un changement dans ma vie car c’est une personne qui m’a permis d’ouvrir les yeux sur mon entourage. Quand on est joueur de rugby il y a des moments dans ta carrière où il faut modifier les choses quand ça ne va pas. Il faut avoir les c***** d’en parler et se demander pourquoi tu en es arrivé là. J’ai une femme de caractère et sans elle, beaucoup de choses auraient été différentes si je ne l’avais pas. Je lui tire mon chapeau. Elle sait ce qu’est le sport de haut niveau car elle en a fait aussi, elle a fait un sport individuel et c’est totalement différent. Quand tu es poussé à l’exigence de la performance tous les jours et que l’on ne t’accorde rien, elle m’a demandé si je me considérais comme une grosse merde. J’ai dit non. Alors elle m’a dit qu’il fallait me mettre dans les meilleures conditions pour que je réussisse ma carrière. Il a fallu se regarder dans la glace et je me suis dis que je n’étais pas si nul que ça finalement.
J’ai dû gérer une blessure aux cervicales en Angleterre. On m’a carrément jeté sous les roues d’un camion. Quand on m’a annoncé que le rugby c’était fini et que certains supporters me disent que je suis parti en Angleterre pour mes cervicales… Non, j’allais très bien ! Le mardi, je passe une IRM car je n’ai pas de licence en France. Le mercredi le médecin me dit que je ne peux pas jouer car les cervicales n’étaient pas bon. Ce n’était pas un problème de rachi mais un problème de papiers. Quand je fais la Tournée avec l’équipe de France B, mes examens médicaux sont bons et quand on change d’année civile, les standards ne sont plus les mêmes. Le scan est presque le même. Quand les médias décident de t’enfoncer, ils t’enfoncent vraiment.
Concernant mon interview parue dans Midi Olympique, je n’ai pas forcément eu de retour de la part de ma famille. On m’a simplement dit que c’était un bel article. Je n’ai pas eu l’avis des uns et des autres. Il y a de la pudeur et on est cinq frères. On parle de ces choses-là quand on est en face mais pas au téléphone. On évite de parler de ces sujets-là. »
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