Si on vous a bien compris : vu que l’offre de Canal + ne répond pas aux attentes de la LNR, celle-ci est prête à se passer de la chaîne cryptée…
Mourad Boudjellal : À contre-cœur. Canal + est un partenaire historique du rugby. On a grandi ensemble. Le problème, c’est que Canal a acheté, il y a quelques années (1998), le rugby à un prix qui était sûrement sa valeur à l’époque. Mais entretemps, ce sport s’est beaucoup développé, a beaucoup apporté et aujourd’hui, on ne peut pas dire que le Top 14 des années 2011, 2012 est le même que le Top 16 des années 1990.

Certes, mais êtes-vous d’accord avec cette réflexion qui consiste à rappeler que ce même Top 14 est peu lisible, donc moins vendeur, entrecoupé qu’il est par les coupes d’Europe ou les matches internationaux et que ce constat peut influencer un diffuseur comme Canal + ?
M.B. : Moi, ma réflexion est simple : beaucoup de gens qui achètent un abonnement Canal pour le rugby voient leur argent aller au football et ça, c’est inacceptable. Aujourd’hui, Canal + a le devoir de verser l’argent de ses abonnés là où il aurait dû être initialement. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Dans ces conditions, Canal ne respecte pas ses abonnés. La seule chose que la LNR demande, c’est que l’argent des gens qui s’abonnent à cette chaîne pour le rugby aille au rugby et pas ailleurs. C’est la base de tous les calculs. Moi, je n’accepte pas que l’argent du rugby aille au football !

La LNR est-elle entrée en contact avec Canal + sur la base de cette réflexion ?
M.B. : Sur ce qui nous est proposé, je ne vois pas de négociations possibles. Je ne vois pas l’utilité de continuer à discuter. L’offre émise par Canal + est insultante ! Cette chaîne nous a manqué de respect. J’ai l’impression qu’elle n’a pas bien mesuré la détermination des présidents du Top 14 à trouver d’autres solutions et leur confiance dans la qualité de leur produit.

J’ai également le sentiment que Canal est restée dans les idées passéistes du rugby qui consistent à dire : ’le rugby est un sport pauvre et ses valeurs ne sont pas l’argent’. Dès lors, cette chaîne est restée sur ces acquis et elle se dit aussi : ’De toute façon, le rugby ne veut pas d’argent’. Or, elle se trompe. Aujourd’hui, la LNR a la ferme intention de permettre aux abonnés de Canal d’être respectés. Sinon, on va leur demander de mettre leur argent dans une autre chaîne.

Canal + se dit encline à partager les retransmissions avec d’autres diffuseurs et c’est la raison pour laquelle son offre aurait diminué…
M.B. : Non, moi, je pense que la stratégie de Canal a été de faire une offre au plus bas de façon à ce que nous soyons contents, à l’arrivée, d’avoir la même chose que lors des précédents accords. Elle nous prend pour des misérables. Or, aujourd’hui, le rugby est un sport qui monte et davantage encore après la prochaine Coupe du monde.

D’une certaine manière, vous avez déclaré la guerre à Canal…
M.B. : On ne déclare pas la guerre, mais si les affaires, c’est une chose, il ne faut pas oublier le respect et on ne manque pas de respect dans les affaires.

Alors, justement, quelles solutions préconisez-vous ?
M.B. : Ce sera la grande surprise ! On décidera dans les mois qui viennent. Si Canal ne modifie pas sa position, on aura d’autres solutions, et ce, d’autant que nous pouvons compter sur cette manne d’abonnés qui sont prêts à nous suivre. Cette manne d’argent que Canal + prend au rugby pour la mettre au football doit rester au rugby et la LNR a l’intention d’y veiller. Le football est un beau spectacle, je ne le nie pas, et je suis d’accord pour dire que le football est plus important que le rugby. Mais il n’y a aucune raison pour que l’on cocufie le rugby en utilisant son argent à d’autres fins.

Le « Plan B » de la Ligue pourrait-il vraiment permettre à l’ensemble des dirigeants du Top 14 et de ProD2 de pérennisser leur entreprise ?
M.B. : (Catégorique) Bien sûr !

Peut-on imaginer que la LNR créée sa propre chaîne sur le modèle de la Ligue de football professionnel (« CFoot ») ?
M.B. : On peut tout imaginer. Il n’y a pas de projet arrêté, mais cela fait bien évidemment partie des multiples possibilités. À Canal + de bien réfléchir aux conséquences aujourd’hui, car beaucoup d’abonnés pourraient partir.

Canal + ne semble pas forcément inquiète…
M.B. : Si elle n’est pas inquiète, elle a tort. Je ne joue jamais au poker, car je ne sais pas bluffer. En revanche, quand je vais au casino, je suis un adepte de la roulette et là, je mets tout sur le rouge ou tout sur le noir. Un coup sur deux !