Le Salary Cap est-il réellement efficace en France ?

Le Salary Cap est-il réellement efficace en France ?

Le mardi 2 février 2016 à 12:00 par David Demri

7 Commentaires

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RCT - ASMLa démission de Patrick Wolff du Comité Directeur de LNR et ses raisons évoquées relancent le débat sur l’utilité du Salary Cap. Mesure nécessaire ou dépassée ? Combat pertinent ou perdu d’avance ? Des questions sur lesquelles rugbyrama.fr s’est penché. Dossier.

Agaçant, provocateur pour certains, admirable précurseur pour d’autres, Mourad Boudjellal amène bien souvent le rugby français à cogiter sur lui-même. Sa récente demande d’intégration à la Premiership en est la plus récente illustration. Le problème du patron du RCT ? Voir l’économie qu’il a inventée et permis d’exister au milieu des Lorenzetti et autres Altrad, celle-là même qui l’a installé sur le toit de l’Europe, attaquée sur son fondement.

Pour attirer des stars mondiales à la pelle, Boudjellal a dû se jouer du Salary Cap fixé par Ligue en instaurant un système de primes aux résultats qui n’entrent pas dans la masse salariale annuelle. Sans ça, pas de Wilkinson, Williams, Habana, Botha, Hayman, Giteau, Mitchell… réunis dans un même effectif. Le président varois plaide volontiers coupable mais dénonce un acharnement sur sa personne et affirme ne pas être le seul à jouer avec la règle. Sur ce dernier point, impossible de lui donner tort. Sauf qu’il est le seul à sortir du bois aussi ouvertement quand ses homologues excellent dans l’art du contournement à visage masqué.

Blanc: « Tous les présidents le savent et se mentent entre eux »

« On sait qu’il y a dans le monde du sport professionnel des possibilités de payer les joueurs via des sociétés« , explique Éric Blanc, ancien président du Racing 92. « Quand il s’agit d’une grande star, on peut penser qu’avec une campagne de pub en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande, en Asie ou dans un autre pays de rugby, on peut optimiser le salaire du joueur. Il existe beaucoup de possibilités et tous les clubs adoptent ces pratiques ».

L’ancien trois-quarts centre, champion de France en 1990, poursuit.« Les présidents se réunissent autour d’une table et disent oui à un Salary Cap de 10 millions d’euros mais beaucoup font autrement. Tous le savent mais ils se mentent entre eux. Maintenant, la différence vient de la puissance financière du président qui, selon qu’il soit actionnaire ou pas, pourra avoir des facilités à trouver des montages financiers, trouver les meilleurs fiscalistes et éventuellement combler les déficits ».

L’exemple du football et du PSG mis en avant par ses sympathisants

C’est aussi en partie pour freiner les ardeurs des présidents multi-millionnaires mécènes qui ont fait leur apparition à partir des années 2000 – Lorenzetti, Altrad, Savare et dans une moindre mesure Boudjellal – ainsi que ceux qui auraient l’idée de les imiter, que la LNR s’est dotée en 2010 de l’arme anti-libérale par excellence. Un plafond salarial à l’image de ce qui se pratique beaucoup outre-Atlantique (NBA, NFL, NBL) pour empêcher les équipes économiquement super puissantes de faire main-basse sur les talents qui composent ces championnats afin de mieux les écraser. À la différence près qu’il s’agit de ligues fermées où l’incertitude de la descente n’existe pas.

Pertinent aux États-Unis, le modèle l’est jugé beaucoup moins en Europe. Preuve en est ce qui se pratique dans sa discipline reine, le football, où le libre-échange est poussé à l’extrême. Pas vraiment le meilleur exemple pour l’ancien international français désormais consultant pour Canal+, Thomas Lombard. « Le Salary Cap n’est pas utile, il est capital pour maintenir l’intérêt du Top 14. Limiter la masse salariale, c’est s’empêcher d’avoir un championnat à deux vitesses qui ne concernerait que trois à quatre équipes en haut du classement. Les disparités sont déjà importantes entre les plus riches et les autres mais supprimer le Salary Cap reviendrait à décider du sort du championnat avant même qu’il ne débute. Il suffit de regarder le PSG en France. Il n’a pas perdu un match cette saison et a toutes les chances de terminer invaincu. Où est la compétition ? Est-ce ça qu’on veut pour le Top 14 ? Je ne suis en revanche pas pour un Salary Cap fermé mais évolutif pour ne pas décourager les investisseurs ».

L’Angleterre s’adapte, la France bloque

À son rythme, la LNR suit cette ligne de conduite. De 8 millions d’euros brut en 2010, le Salary Cap est aujourd’hui fixé à 10 millions, hors rémunération des Espoirs (si elle n’excède pas 50 000 euros annuels) et avec des bonus pour les JIFF. Les clubs grands pourvoyeurs d’internationaux peuvent même tirer jusqu’à 11 M€ (11,3 M€ pour le Racing 92). Une évolution jugée trop rapide par un de ses pères fondateurs, Patrick Wolff, qui a claqué la porte de la Ligue la semaine dernière. « En privilégiant, dans une urgence qui n’existait pas, une course au développement économique à coups d’injection massive d’argent, nous nous sommes piégés« , écrivait-il notamment dans sa lettre de départ.« Elle affaiblit la notion même de compétition, en Europe comme en France, en tuant à petit feu les équipes moins pourvues financièrement et en alignant les résultats sportifs sur les budgets… ».

L’Angleterre, qui a lancé son Salary Cap en 1999 (alors à 1,6M€), a placé la barre à 6,7M€ (brut, auxquels il faut retirer 7 % de charges contre 22 % en France) hors bonus pour les joueurs formés au club et en excluant les deux éléments les mieux rémunérés d’une équipe. Il sera de 8,55M€ la saison prochaine et de 9,2M€ en 2017-2018, tandis qu’il ne bougera pas en France au moins pour les trois prochaines saisons.

« Le Salary Cap ? Tout le monde le contourne, en Top 14 comme en Pro D2 »

L’enrichissement des stars de ce sport et la disparition programmée du « rugby des sous-préfectures » ont eu raison de la volonté de Parick Wolff. La capacité des clubs à contourner « son » Salary Cap aussi. Les primes de résultats, on connaît. Les stars commercialisant leur image, aussi. Arrivent désormais les contrats longue durée pour les joueurs de plus de 30 ans. Le but, leur proposer un niveau de rémunérations convenable mais dilué par une année supplémentaire pour tromper le Salary Cap. En bout de course, les joueurs intègrent le risque de l’année de trop et acceptent.

Soucieux de ne pas cracher dans la soupe qui les nourrit et de se mettre à dos les argentiers du rugby, les agents de joueurs pratiquent sur le sujet la méthode de l’omerta. Beaucoup de ceux que nous avons sollicités ont refusé d’en parler publiquement. Rares sont les langues à se délier. « Le Salary Cap ? Tout le monde le contourne, en Top 14 comme en Pro D2 », affirme l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. « Les lois sont faites pour être contournées. Prenez l’exemple du JIFF : désormais, les clubs vont chercher des jeunes étrangers, les forment et les font devenir ainsi JIFF (selon nos informations, Clermont détient la palme cette année avec neuf recrues étrangères dans sa pépinière, suivi par Montpellier avec six). Le Salary Cap n’est pas efficace à 100% comme le souhaiterait la LNR ».

Un consensus impossible ?

« Pas efficace », « contourné », « astuces nécessaires », des mots qui reviennent régulièrement pour décrire un des sujets les plus clivants de l’ovalie hexagonale. Sans parler clairement de suppression pour ne pas froisser les amis des bastions éternels du rugby, certaines voix fortes condamnent lourdement le Salary Cap, à l’image d’Éric Blanc.« Le rugby professionnel français a voulu créer une ligue et se doter d’un championnat attractif. Je ne vois pas comment on empêcherait les investisseurs d’investir. On ne peut pas limiter à 10 M€ les grands investisseurs qui sont arrivés dans le rugby français pour avoir les meilleurs joueurs du monde et former le championnat le plus relevé. Il ne faut pas se leurrer, si les diffuseurs mettent plus d’argent sur la table, c’est parce que des présidents comme Boudjellal ou Lorenzetti font venir des stars comme Nonu ou Carter, qui attirent plus de public. Libérer l’économie du rugby, comme dans le football, creuserait un gouffre entre les plus riches et les autres. Mais après tout, c’est déjà le cas et puis le PSG et Ajaccio cohabitent bien en Ligue 1 ».

Directement concerné, Jacky Lorenzetti, qui disposerait de la puissance économique nécessaire pour éteindre une grande partie de la concurrence, se veut dans la mesure, même s’il était opposé au Salary Cap lors de sa mise en place en 2010. « À l’époque, tous les présidents de Top 14, y compris Mourad Boudjellal, ont voté pour le Salary Cap et les JIFF, sauf moi. Ils changent aujourd’hui d’avis, ce que je comprends bien. Quand cela a été voté, j’ai dit que j’étais pour le principe de limiter les dépenses et jouer la carte de la formation mais contre le fait de légiférer car l’impossibilité de contrôler est réelle. Cela se vérifie aujourd’hui. Je trouve aussi anormal qu’on n’ait pas desserré le carcan du Salary Cap. On va faire 3 ans de plus à 10M€ et le résultat sera qu’on se retrouvera avec sept ou huit clubs au maximum autorisé, et on sera tous bloqué. Le Salary Cap a un avenir s’il est raisonnable ». Sauf qu’il faudrait pour cela statuer sur la définition de « raisonnable », chacun voyant midi à sa porte. Et c’est bien là tout le problème…

Source: rugbyrama.fr

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7 Commentaires

  1. MX83 2 février 2016 at 12h- Répondre

    Ce n’est pas un ancien rugbyman ou président de club qu’il faut à la tête de la LNR, c’est un fiscaliste!!!

  2. jipe 2 février 2016 at 13h- Répondre

    «  » Directement concerné, Jacky Lorenzetti, ……..« À l’époque, tous les présidents de Top 14, y compris Mourad Boudjellal, ont voté pour le Salary Cap et les JIFF, sauf moi. Ils changent aujourd’hui d’avis, ce que je comprends bien. ……………. «  » :laugh:

  3. London 2 février 2016 at 13h- Répondre

    Le Dalai Lama a dit:
    « La salary cap est aussi limpide que l’intégrité des hautes instances du rugby français ». Magnifique, j’adore ce mec.

  4. hervé 2 février 2016 at 14h- Répondre

    le problème, ce n’est pas le salary cap c’est le modèle de la compétition avec des montées et des descentes.
    le championnat anglais comme le super rugby sont des championnats fermés:
    les joueurs peuvent favoriser le spectacle, et les clubs tendre vers des budgets analogues, ce qui est la clé de l’équité sportive.

  5. FlexionnnnDestroncher 2 février 2016 at 15h- Répondre

    Rugbyramage y font l’actu sur le salary cap et la crise de Clermont. Ca permet de pas parler des 5 défaites du ST en CE et son élimination.

  6. mat 2 février 2016 at 18h- Répondre

    mr wollf le rugby que vous aimez existe encore , c est la fédèrale . libre a vous de supporter une petite équipe .ou d allez voir des jeunes jouaient, c est trés plaisant .pour le reste permettez que l on prenne du plaisr et à avoir des emmotions avec le rct .le salary cap on s en fout .bonne retraite

  7. alainc 2 février 2016 at 19h- Répondre

    Il ne s’agit pas d’être contre le salary cap parce que Mourad Boudjellal est contre mais se poser tout de même les bonnes questions: Quel avantage apportera le déplafonnement des salaires? et quelles seront les conséquences pour notre système actuel?.
    L’absence de Salary Cap (et de JIFF) n’est possible qu’avec une refonte complète de notre système de championnat, seul le rugby spectacle/business dominera, l’aspect sportif passera au second plan. Dans ce contexte, seuls quelques clubs « nantis » ou sponsorisés par de puissants mécènes se partageront l’affiche, les autres disparaîtront. Une ville moyenne (comme Agen, Castres, La rochelle, Bayonne, Oyonnax ….etc…) ne possède pas les budgets publics ou des sponsors capables de rivaliser a hauteur de dizaines de M€. Même Clermont qui se repose sur un seul grand sponsor ne pourra pas suivre.
    Loin de moi de vouloir noircir une situation déjà compliquée, ou de défendre P Wolff (que je n’encadre pas), mais il faut reconnaitre que le Top 14 (et le Bouclier de Brennus) sera complètement galvaudé dans un système sans limite.