Daniel Herrero évoque l’évolution du rugby à un mois de la Coupe du monde
Daniel Herrero évoque l’évolution du rugby à un mois de la Coupe du monde
Le mercredi 19 août 2015 à 16:41 par David Demri
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A un mois du coup d’envoi de la Coupe du monde en Angleterre (18 septembre – 31 octobre), et de l’entrée en lice du XV de France contre l’Italie, l’ancien joueur et entraîneur du RC Toulon Daniel Herrero revient sur les mutations récentes du rugby, qu’il juge trop prévisible.
Presque trente ans après la première Coupe du monde (1987), retrouvez-vous encore le rugby de l’époque dans les matchs internationaux auxquels vous assistez aujourd’hui?
En 1987, Toulon était champion et l’équipe de France jouait la finale de la Coupe du monde. J’ai la sensation que quasiment tous les joueurs du XV de France et du RCT de l’époque auraient encore leur place sur le terrain. Les arguments techniques et physiques étaient relativement proches de ceux d’aujourd’hui. Le passage au professionnalisme et le temps passé à l’entraînement a transformé un certain nombre de choses, notamment la dimension psychologique d’adhésion à un projet de club. Les joueurs sont en contrat sur des temps relativement courts, ce qui change des choses. La gestion de l’ego est certainement plus difficile qu’à l’époque et l’augmentation objectivée des attributs physiques ne doit pas être ignorée. Mais en ce qui concerne la qualité technique des joueurs, il y a peu ou pas de différences.
Les Bleus achèvent une préparation athlétique de deux mois. Les enjeux physiques ont-ils pris le dessus sur le jeu lui-même?
En 1987 ou en 1995, l’équipe de France était très bien préparée aussi. Quand je vois le paquet d’avants de 1995, ils sont tous meilleurs que ceux qu’il y a en ce moment. Mais il est vrai que la charge colossale de travail physique imposée aux joueurs semble supérieure au temps de travail consacré au jeu lui-même. Plus de réflexion est apportée sur la santé des hommes que sur leurs qualités de rugbymen. On peut s’en inquiéter.
Que voulez-vous dire?
Depuis 5 ou 6 ans, 80% des joueurs de rugby ont le même comportement sur un terrain. Du 1 au 15, les joueurs font à peu près toujours la même chose quand ils ont le ballon dans les mains : courir droit, aller à la percussion et ensuite au sol. Le jeu est tellement prévisible qu’il faut désormais un certain nombre d’attributs pour s’y préparer. Si le mec va toujours au défi, il vaut mieux qu’il soit gaillard! La technique en tant que telle a peu évolué, car elle représente très peu du temps du joueur, même si elle joue beaucoup dans la décision des matchs.
«Aujourd’hui, le rugby se joue dans la défense et trop peu de joueurs en sont capables. Résultat, on prend une armée de bourricots.»
Le french flair a-t-il disparu?
Le french flair est un « label » qui représente une potentialité offensive imprévue. Le jeu français a longtemps laissé une place importante à l’adaptation en attaque, mais le french flair n’a plus cours, il relève de la mémoire et de la mélancolie. Aujourd’hui, le rugby se joue dans la défense et trop peu de joueurs en sont capables. Résultat, on prend une armée de bourricots. La psyché-sumo a enseveli le rugby contemporain.
Le rugby va adopter le Hawk-Eye, quinze ans après la vidéo. Comment appréciez-vous l’introduction de ces technologies?
J’y suis plutôt favorable, mais l’apport est gadget, y compris dans la zone de marque. Ça n’a pas radicalement objectivé l’allure générale des matchs ou la hiérarchie des équipes. Il est toujours très difficile de rationaliser la zone de marque. Je n’y suis pas opposé, mais cela ne touche pas le sens profond du rugby, qui est le rapport de domination entre deux collectifs. En revanche, je trouve que le micro sur l’arbitre est une innovation majeure. Il y a dans la complexité des règles du rugby quelque chose qui mérite de temps en temps l’explication qui montre que ces règles sont toujours habitées par un esprit.
Le rugby est-il devenu trop compliqué, trop réglementé?
Non, il est devenu trop simple! Il y a 3 ou 4 règles qui nous emmerdent, mais elles ont toutes le même sens finalement. Aujourd’hui, les règles sont basées autour d’une même loi : il faut que la balle sorte vite. Ces dix dernières années, le jeu de rugby a imposé des règles dans le but de faire vivre le ballon. Le problème est que le rugby est devenu si facile à lire qu’il ne cause plus beaucoup d’émotions. La vitalité, la construction, l’intelligence, l’élévation du jeu sont trop peu présentes dans des matchs comme l’Angleterre-France de samedi dernier.
«Il y a une violence morale qui se déplace dans la charge affective mise dans le duel. A côté de ça, la mandale ou la mornifle étaient actes de bienveillance sociale.»
Le rugby international est-il aseptisé?
« Aseptisé » n’est pas le mot juste. Je dirai plutôt qu’il y a une volonté délibérée d’éradiquer tout comportement équivoque sur le plan moral : celui qui amènera la destruction de l’autre. A l’époque, le rugby français avait quelques considérations morales sur la mandale ou l’emplâtre, définissant simplement une petite irritation de caractère et pas véritablement un acte de violence délibéré. Aujourd’hui, il y a une mutation de la violence dans le défi et le duel. Quand je vois certains plaquages, je m’interroge : veut-il simplement l’arrêter ou le tuer? En analysant bien, il veut le tuer, l’ouvrir en deux. Le rugby donne cette possibilité, car la règle est chargée d’une ambiguïté. Il y a une violence morale qui se déplace dans la charge affective mise dans le duel. A côté de ça, la mandale ou la mornifle étaient actes de bienveillance sociale.
On parle sans cesse des valeurs du rugby, comment les définiriez-vous?
Le terme valeur est équivoque, comme la vertu, son pendant moral. Les valeurs et les vertus échappent au droit et appartiennent au monde des dieux de fait. C’est le sens du partage, le goût du solidaire, l’altérité, l’altruisme, le sens du don et le dépassement de soi. Ces valeurs-là existent historiquement comme l’axe dominant du jeu, même s’il s’est transformé aujourd’hui en spectacle, en compétition. Il y a bien sûr une mutation et une certaine altération de ces valeurs, mais elles existent toujours. Ceux qui seront champions du monde seront sans doute infiniment courageux et solidaires.
Le rugby a du mal à dépasser ses frontières géographiques traditionnelles. Peut-on envisager une Coupe du monde aussi internationalisée qu’au football à l’avenir?
On en a pour des lustres! Deux siècles de microcosme n’autorisent pas une internationalisation du jour au lendemain. Ne serait-ce que sur la terre de France, on bataille pour avoir des équipes à Rennes, Lille ou Strasbourg. Les champions du monde sont toujours les mêmes et ça ne va pas changer pendant un moment. Mais la Géorgie a rejoint le panel international, l’Italie s’y installe et l’Argentine y est de plein pied. Ce sont des conquêtes conséquentes.
Gagner la Coupe du monde en Angleterre, où le rugby est né, est-il le rêve ultime?
Je ne suis pas convaincu de la symbolique d’une victoire en terre d’Albion, mais gagner la Coupe du monde est un rêve pour toute l’ovalie française. Et comme les Anglais ont inventé ce jeu et montrent une certaine suffisance quand ils le dominent, il est toujours intéressant de les faire couiner. Mais battre n’importe quelle équipe en finale à Twickenham sera pour le XV de France un infini bonheur.
Source: lejdd.fr
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8 Commentaires
Toujours autant de plaisir à lire ou à écouter ce grand homme, cet amoureux du Rugby.
Je confirme
DH est irremplaçable dans ses analyses
Dommage cependant de comparer l’équipe de France à une armée de bourricots Certains n’apprécieront pas
Vacciné et allaité aux mêmes mamelles de l’Ovalie Toulonnaise que DANIEL je partage vraiment son analyse ; il n’y a rien à ajouter ; c’est clair et évident comme un cadrage-débordement!!! Ca fait regretter un autre Rugby qui ne reviendra plus ; il ne reste plus qu’à jouer avec les vétérans!!!
gros H.S.: Avez vous remarqué que le logo du RCT à légèrement changé, je viens de m’en rendre compte. En effet, sur la carte d’abonné et site officiel, le terme RCT habituellement dans la bande rouge du logo a été remplacé par « TOULON », le terme RCT étant relégué en petit juste au dessus du brin de muguet.
D’ailleurs, c’est peut être une impression mais j’ai l’impression qu’ils veulent remplacer « Rugby Club Toulonnais » par « Toulon Rugby » du moins peut être pas remplacer mais sur le site officiel en page d’acceuil et sur les cartes de fidélité on voit « Toulon rugby ici tout est différent,…. » sans doute que de la com’ mais c’est ce que je ressent.
Oh juju moun coulègo !!! T’es parti en vacances sur Mars ?
Non plutôt sur pluton ! Bon a croire que j’ai donc bien raté un épisode 🙂
EXCELLENT Résumé de notre cher Patriarche du Rugby . :yes: Toujours égal à lui même notre DANIEL . Nous le remercions de ses avis .
« Quand je vois certains plaquages, je m’interroge : veut-il simplement l’arrêter ou le tuer? », moi aussi, surtout quand je vois l’extase que cela produit au niveau des commentateurs…
En parlant des commentateurs, mention spéciale pour ceux qui oeuvrent sur Bein, quel que soit le sport ils sont NULS. Bein a investi dans la retransmission sans s’occuper d’eux.