« Toulon a frappé fort du poing sur la table. Dans des années, on se souviendra que le patron de cette génération-là, c’était le RCT. » Alexandre Audebert, ex-troisième ligne de Clermont (1999-2012), consultant pour Sud Radio, regarde défiler les joueurs varois en zone mixte. « Bébert » ajoute, admiratif : « C’est du jamais vu, historique. Toulon domine de la tête et des épaules. Chapeau ! »

Le RCT, autoproclamé « club de légende depuis 1908 » – selon un de ses slogans – y a pénétré, vraiment, à coups d’épaules d’Ali Williams, de zigzags de Drew Mitchell, à 19 h 55, heure française. Et ça fait quoi ? « Ce sont les joueurs qui entrent dans la légende, pas moi, prévient Bernard Laporte. Personne n’avait gagné trois Coupes d’Europe d’affilée, c’est grandiose ! » Sur la pelouse de Twickenham, « Bernie » s’était jeté dans les bras d’Hubert Falco, maire de Toulon et ancien copain de conseil des ministres sous Nicolas Sarkozy. Plus loin, Mourad Boudjellal hésitait entre rire et chialer. Il fait « 3 » avec ses doigts, réalise très vite la perf : « Mission accomplie ». En novembre, Boudjellal avait fixé publiquement un objectif à son équipe : « Le triplé européen pour qu’on se souvienne de ce RCT-là, qu’il reste dans l’histoire ».

« Pour lui, c’est une reconnaissance, salue Alexandre Audebert. Il a changé les codes, a envoyé chier tout le monde, mais son système est le bon. Mourad est dans le vrai. » Tellement, désormais, qu’à Twickenham, il a fraternisé avec les supporters clermontois. Impensable !« Je suis allé vers eux, je ne voulais pas qu’ils pensent une seconde que je voulais les chambrer. Je leur ai souhaité sincèrement de remporter la Coupe d’Europe, car ces gens qui se déplacent partout le méritent. » On a vu des fans de l’ASM lui taper sur l’épaule, multiplier les selfies avec lui. « Ils m’appelaient Mourad, voulaient faire des photos. C’était très convivial. Un vrai bon moment ».

Autant, sûrement, que les félicitations d’Éric de Cromières, son homologue auvergnat. « Il a beaucoup de classe. Je lui avais promis un Mouton Rothschild si on gagnait. On le boira ensemble. » Un flacon de 1961, légendaire. Dans le vestiaire, les Toulonnais se sont contentés de bières. « On a bu des coups, on a dansé, témoigne Sébastien Tillous-Borde. Mourad danse bien, il m’a surpris ». « Et pourquoi je ne serais pas bon sur la piste ?, s’amuse Boudjellal. J’ai du sang arabe. Mais c’est la première fois que je dansais dans le vestiaire. » Le moment était bien historique. « Ça, on y réfléchira après la carrière, ce n’est pas le moment, balaie Juan Lobbe. Quand mon fils Felipe (deux ans) commencera le rugby, il me dira : “ah, t’as fait ça chez les pros…”et on en discutera. »

MÊME BOTHA A MONTRÉ DES SENTIMENTS

« J’ai remporté trois Coupes d’Europe, et je ne pense pas à la légende. Mais c’est vrai que le tour d’honneur était émouvant, on a mis plus de temps pour le faire », constate Tillous-Borde. Prenez Botha. Big Bakkies, en queue de peloton, a embrassé des dizaines de supporters au premier rang. Pas le genre du Springbok. La légende, on vous dit…

Nicolas Sanchez, qui tire un énorme sac de sport, observe timidement tout ce souk. Le demi d’ouverture des Pumas, reparti fin mars, porte la veste du RCT. « Le club m’a invité, car j’ai disputé quatre matches de Coupe d’Europe cette saison. Je suis arrivé de Buenos Aires vendredi, je repars aujourd’hui. C’est un sentiment bizarre, pour moi… J’ai un petit peu de la légende, ok, mais ce qu’a réussi cette équipe est énorme ».

Carl Hayman, entraîneur de la Vallée du Gapeau, champion Honneur de côte d’Azur le samedi précédent, a levé la Coupe continentale comme capitaine. « On s’en fout que ce soit moi. Mais trois fois, c’est fou ! Quand je l’ai levée, j’ai pensé à notre travail depuis dix mois. On a un groupe de mecs extraordinaires qui font toujours les efforts à l’entraînement. Regardez Bakkies, à 36 piges, tout le boulot qu’il a fait pour l’équipe. Et il y a Bernard (Laporte)… Il est très fort, sait nous gérer ». Ah, ses vieux, « Bernie » les câline, leur offre du temps pour récupérer, leur répète qu’il les aime. « Mais ‘vieux’, c’est un terme qu’on n’accepte pas dans le vestiaire, corrige Juan Lobbe, 33 ans. On appelle ça l’expérience ». Elle a ruiné les Clermontois, hier. Ça, et les mots de Laporte pendant les deux jours passés dans un Hilton de Richmond. « Je disais à certains joueurs, en aparté, que Jonny (Wilkinson) et Dannie (Rossouw) me manquent, confie le manager du RCT. J’ajoutais que je suis sûr que Carl (Hayman) et Bakkies (Botha) me manqueront aussi ». Petits leviers ? Hum… Grands effets. « Bernard sait motiver tout le monde, c’est très important », avoue Hayman. Dans son dos, Chris Masoe s’extasie : « Gagner trois fois en suivant, c’est incroyable ! Mais bon, la légende, non, je n’y pense pas tout de suite ».

Mourad Boudjellal, oui. La semaine prochaine, face à Castres, la Coupe d’Europe reviendra dans sa maison, à Mayol. Où les Toulonnais joueront avec un maillot neuf, avec trois étoiles sur le coeur. Business is business.

Source: lequipe.fr