Sébastien Tillous-Borde, le demi de mêlée international de Toulon, titulaire contre Brive aujourd’hui, répond aux soupçons de dopage.

Le cas Tillous-Borde. C’est le titre d’un chapitre de « Rugby à charges », le livre de Pierre Ballester consacré au dopage, qui est sorti jeudi. On y lit que le demi de mêlée de Toulon et des Bleus (29 ans, 12 sél.) aurait pris beaucoup de poids de manière très rapide, donc suspecte, il y a quelques années. Sébastien Tillous-Borde, qui avait briè­vement réagi à chaud sur le site de « la Provence » après parution d’un extrait le concernant dans « le Monde », revient longuement et pour la première fois sur les interrogations qu’il suscite dans l’ouvrage.

« Avez-vous lu “Rugby à charges” ?

– Seulement les deux passages sur moi. Jean-Philippe Hager (ancien médecin des équipes de France) dit que je prends dix kilos et qu’il n’y a rien d’anormal en deux ans. Mais quand quelqu’un ajoute que c’est vingt kilos en deux ans, il ajoute : “Ah oui, là…” Mais je n’ai jamais pris vingt kilos en deux ans !

En combien de temps êtes-vous passé de 74 à 94 kg ?

– Au maximum, à Castres, j’ai pesé 92 kg, pas 94. Mais revenons en arrière. Quand je suis arrivé à Marcoussis pour une Coupe du monde des jeunes en Afrique du Sud, en 2003, j’avais dix-sept ans et demi et je n’avais jamais fait de musculation. En deux mois, j’ai pris 4 kg rien qu’en faisant de la musculation et en mangeant un peu plus au self de Marcoussis, sans prendre de protéines. L’année suivante (2004), j’arrive à Biarritz, à 78 kg à peu près. En m’entraînant comme les pros pour la première fois, je suis monté à 82 kg. À la fin de cette première saison, j’ai connu Alain (Camborde, un préparateur physique, mis en examen pour un trafic présumé de produits interdits en 2011 et condamné à trois mois de prison avec sursis pour  importation et détention de marchandises prohibées et exercice illégal de la profession de pharmacien ) qui intervenait au club pour la diététique. Je lui ai dit que je voulais prendre un peu plus de poids, de force en haut et en bas. Il m’a expliqué : “Tu dois manger plus souvent dans la journée et que ce soit équilibré.”

Du coup, vous êtes passé à combien de repas quotidiens ?

– Six au lieu de quatre. J’avais le petit déjeuner vers 7 heures, puis une petite collation à 10 h 30. Vers midi-13 heures, le déjeuner ; une collation à 16 heures ; le dîner à 19h30-20 heures, puis une grosse collation avant de me coucher.

Là, vous aviez commencé à prendre des protéines ?

– Oui. Beaucoup ? Normalement. Alain me disait : “Il faut que tu t’entraînes et que tu manges bien, là tu peux prendre des protéines. Si tu fais la fête à côté et que tu bouffes des tapas toute la semaine, ça ne sert à rien sauf à faire du gras.” J’étais déjà assez sérieux, à l’époque. Et je le suis devenu encore plus en voyant que ça marchait d’avoir une bonne hygiène de vie. En 2006, pour la Coupe du monde des moins de 21 ans (remportée par les jeunes Bleus, à Clermont), je devais faire 89 kg.

Si on a bien suivi, vous avez pris quinze kilos entre dix-sept ans et demi et vingt et un ans ?

– Disons jusqu’à vingt-deux ans. Ouais, c’est ça, en quatre ans et demi. Après, je suis allé à Castres (en 2007). J’oscillais entre 90 et 92 kg, je me sentais bien à ce poids-là. À Toulon, ensuite ­(depuis 2011), j’ai senti que j’avais besoin d’être un peu plus léger pour être endurant au plus haut niveau. J’ai affiné mon entraî­nement (il prépare en ce moment un diplôme de préparateur physique), je me suis beaucoup intéressé à la diététique et, aujourd’hui, je fais 86 kg. Je mange bio, je pèse mes aliments.

Votre femme vit avec vous depuis treize ans, donc elle vous a vu changer physiquement. Vous a-t-elle posé des questions ?

– Non. C’est elle qui me préparait à manger et voyait tous les efforts que je faisais au quotidien, comme m’entraîner en plus du BO, après 18 heures, avec Alain, parfois à Pau… Très jeune, j’ai compris que je devais faire des extras en musculation, en course. Ça demande des sacrifices, du temps sur la vie personnelle.

On vous a interrogé au club ou à Marcoussis, en équipe de France, ces derniers jours ?

– Non ! Ils savent comment je suis. Mais j’ai été super surpris de lire ça. J’ai été touché dans mon intégrité. Ni l’auteur du livre ni les journalistes du Monde (qui avaient publié des extraits le concernant) ne m’ont contacté, ne serait-ce que pour vérifier des ­informations, fausses. Je pèse 86 kg, ils mettent que je fais 94. On a un suivi avec l’équipe de France, on est pesés deux fois par semaine, toute l’année. Ces informations, on peut donc aller les chercher. Je serais prêt à les inviter à me suivre à Toulon pendant quinze jours pour qu’ils comprennent ce qu’est l’exigence de ma préparation, s’entraîner quotidiennement pour préparer une Coupe du monde et les phases ­finales avec son club.

Mettez-vous à la place de quelqu’un qui ne vous a pas vu pendant cinq ou six ans. Il va se dire : “Ce n’est plus le même Tillous-Borde !”

– C’est vrai, c’est vrai…

Comment vivez-vous avec ce soupçon ?

– Je le vis très bien, car je sais ce que j’ai fait. Je suis tranquille. Mais c’est vrai que, pour la personne qui ne m’a pas revu, disons entre dix-sept et vingt-quatre ans, ça a dû lui faire bizarre. Mais, pendant que certains buvaient des coups et faisaient la fête, je m’entraînais.

Alain Camborde n’a jamais été condamné pour cela, mais vous êtes-vous demandé si vous aviez pu prendre des produits dopants sans le savoir ?

– Non. Impossible. Je connais bien Alain, il ne m’aurait jamais fait ça. On ne travaille plus ­ensemble, mais je ne suis pas ­fâché avec lui, je n’ai aucune ­raison. Il a toujours été clean avec moi. J’ai déjà fait analyser les protéines, je n’ai jamais eu de souci. Ça fait onze ans que je joue au haut niveau, il y a le suivi longi­tudinal, trois fois par an. Il doit y avoir mes trente-trois feuilles de passeport biologique à con­sulter…

On dit que le rugby serait dans le déni, comme le cyclisme avant l’affaire Festina. Comprenez-vous qu’on puisse penser ça ?

– Ça m’étonne. Il faut toujours faire attention, car il peut y avoir des dérives dans le sport de haut niveau, mais de là à penser ça sans preuves… Je suis sûr et certain que mon nom est sorti parce que je suis revenu en équipe de France (après cinq ans d’absence). Je connais plein de joueurs qui ont travaillé avec Alain mais, en ce moment, je suis plus médiatique. En fait, un truc me dérange : l’été, j’organise des stages à Oloron, avec deux cents enfants auxquels j’essaie de transmettre de bonnes valeurs. Aujourd’hui, un parent qui lit ça va se dire : “Putain, mon gamin, je ne vais pas le mettre là-bas.” Ça salit l’image du rugby et la mienne. Je me mets à la place des gens : le ­livre insinue le doute. »

Source: lequipe.fr – Arnaud Requenna